« Etre l’oeil ou l’esprit qui se promène, observe, compare et ensuite relate, un sorte de témoin. »

«  Ecrire après un voyage favorise également l’introspection. »

   Nicolas Bouvier

Du coin de l’oeil

Ecrits sur la photographie

 

Envie de larguer les amarres, de quitter Genève, son emploi du temps serré, sa grisaille, sa froidure, pour aller vers d’autres terres plus chaudes, déjà visitées par le passé.J’opte pour une croisière sur un voilier aborder différentes îles par la mer, approche si différente, qui n’a cessé de m’éblouir et me surprendre de nuit comme de jour, par tous les temps lorsque pendant plus de 20 ans nous avons navigué à la voile en famille sur le Léman.Le marin d’eau douce désire goûter à la navigation dans la mer des Caraïbe et l’Océan Atlantique.Léo, mon petit-fils de 10 ans a émis le désir de se joindre à moi pour aller découvrir les « Îles des Pirates. »Nos objectifs de voyage sont très différents. Lui passionné d’animaux veut en rencontrer de nouveaux, ceux encore jamais vus qu’il ne connaît qu’à travers les livres. Pour moi, c’est un retour dans des îles déjà abordées il y a une dizaine d’années, l’occasion d’y confronter mes souvenirs et aller à la découverte de la population de chacune d’elle…Alors, nous voilà embarqués dans une aventures de 8 jours : deux Genevois de générations différentes avec leurs approches et intérêts propres liés à leur passé, leurs réalités de vie et leurs expériences. Deux regards portés sur un monde différent, tant climatique, politique, économique et lié à une réalité permanente celle des Cyclones. On se souvient encore de l’ouragan Lothard qui a fait tant de ravages en Suisse en 1999.C’est sur le « Star Flyer » , voilier à quatre mâts, long de 11 mètres, de 15 mètres de larges accueillant 185 personnes dans 82 cabines que nous allons embarquer. C’est à Mikael Krafft, un suédois passionné de voiles , intéressé spécialement par d’anciens voiliers, suite au visionnement du film sur le trois mâts carré norvégien « Christian Radich » que l’on doit la construction de cette goélette  qui permet une incursion à la voile dans les temps anciens.

Son souhait: offrir à d’autres le romantisme de la voile et le style des voiliers avec lesquels il a eu la chance de naviguer. Il décida de construire un voilier authentique avec le vent comme principale source d’énergie. Il devra ressembler aux vieux clipper par sa coque, son gréement et la manière de se mouvoir sur l’eau. Aucun bateau comme le « Star Flyer » n’avait été construit depuis plus de 100 ans et cela avant le naufrage du Titanic  en 1912. Cet accident épouvantable a changé toutes les règles  concernant la stabilité et la sécurité. Adapter ceci à un voilier moderne étaient » les 7 plaies de la Bible » mais ce fut un réel succès.

Le « Star Flyer « fut mis à l’eau pour la première fois en 1991 à Gant en Belgique. C’est dans le port de Saint-Martin que nous sommes saisis par cette goélette amarrée qui nous attend dans toute sa majesté.Nous voilà embarqués parmi des passagers de toutes nationalités: des Suisses romands, des Suisses allemands, des Français, des Allemands, des Autrichiens, des Italiens, des Anglais, des Ecossais, des Américains, des Australiens. Nous allons faire notre chemin parmi ce melting pot international, sans oublier le personnel et l’équipage provenant principalement d’Asie et de l’Europe de l’Est.

 

Nous accostons sur

La Dominique  ( à ne pas confondre avec la République Dominicaine )

Île volcanique recouverte d’une épaisse forêt tropicale ( nature presque intacte ). Elle recèle une forêt humide , de nombreuses rivière, cascades et sources chaudes.Léo, grand gourmand, a choisi de visiter une chocolaterie artisanale nichée sur le flan du volcan. Elle est exploitée par une famille de blancs depuis trois générations. Ici rien n’est importé, tout est fait avec ce que la nature offre sur l’exploitation, de la fève du cacaoyer jusqu’à la production  finale d’une plaque de chocolat principalement du chocolat noir. Pour le chocolat au lait que Léo a tenu à goûter c’est le lait de chèvre qui est utilisé. Rien que des produits bios traités manuellement dans un petit laboratoire pas plus grand que mon salon.Lors du trajet en car, notre Guide Cynthia nous a parlé, en anglais, avec passion de son île qui est indépendante. La nature y est si luxuriante que la culture des fruits telles qu’ananas, bananes et mangues poussent  sans entretien toute l’année. L’argent n’est pas la valeur principale de l’île, ce sont les échanges entre voisins. Son jardin lui donne de beaux ananas en grande quantité, sa voisine a des mangues en suffisance, elle échange des ananas contre des mangues. L’un de leur voisins va à la pêche, il lui donne du poisson frais quotidiennement contre des ananas.L’île ne connaît pas la pauvreté, la production de fruits et légumes est si abondante qu’elle permet de nourrir les nécessiteux. Pas de délinquance, ils ne connaissent pas le vol et peuvent vivre portes et fenêtres ouvertes de jour comme de nuit.

Je lui ai fait répéter deux fois cette phrase n’étant pas certaine d’avoir bien compris !

Je pense à la réalité Genevoise où sans cesse nous devons faire attention à nos biens que ce soit en ville ou chez soi.Seule ombre à ce tableau idyllique le cyclone Maria qui a touché l’île en 2017.

L’entraide entre habitants ainsi qu’un programme d’aide gouvernemental pour la reconstruction d’habitations pouvant résister aux cyclones, qui repose sur une une construction utilisant le béton, ont permis à l’île de ne demander aucune aide extérieure.

Quelques citations que Cynthia nous a livrées:

«  Si tu ne m’aimes pas, pas de regrets … moi non-plus je ne t’aime pas « 

( en référence à l’amour d’un homme et d’une femme )

« L’amitié c’est bien mieux que de l’argent. C’est une denrée précieuse qu’il faut garder très précieusement . »

Au retour nous échangeons avec Léo, bien que paradisiaque et malgré son amour pour Cynthia, il ne peut envisager de vivre sur cette île : absence de plages de sable fin et chaud pour se baigner que des criques propices à la plongée sous-marine.

Cette île lui a fait penser au film  « Jurassic Park « Et moi de rêver d’une société où partages et entraides seraient les valeurs essentielles de la vie !

L’île des Saintes, Terre-de-Haut

Archipel d’îlots volcaniques des Antilles françaises. Divisée entre Terre-de-Haut et Terre-de-Bas,les Saintes sont rattachées administrativement à la Guadeloupe. Elles sont principalement habitées par les descendants des colons venus de l’ouest de la France.Climat plus chaud et sec que celui des autre îles de l’Archipel des Antilles.Terre-de-Bas beaucoup plus arrosée que Terre-de-Haut plus exposée au vents.Le relief escarpé et une pluviométrie peu avantageuse n’ont pas permis l’établissement de cultures agricoles. Le peuplement est historiquement constitué de Bretons, de Normands et de Poitevins à Terre-de-Haut qui se sont installées pour la pêche. Par contre, la population de Terre-du-Bas est très majoritairement mulâtre et noire.

Les pêcheurs locaux sont extrêmement réputés dans tout l’Archipel des Petites Antilles pour leur bravoure et leur «  coup de filet ».

Le Français et le Créole sont les principales langues parlées.

Depuis une trentaine d’années l’île des Saintes est devenue touristique.Nous débarquons sur la jetée du port et sommes tout de suite plongés dans la ville et ses nombreux magasins d’artisanat. Léo n’a qu’une hâte, acheter les souvenirs qu’il ramènera à son papa, sa maman, son frère et sa belle-mère.  Difficile de choisir, il entre dans tous les magasins et pour finir porte son choix sur un bracelet bleu pour maman, un coupe-papier en ébène pour papa,un collier avec une dent de requin pour son frère et une tortue pour belle-maman. C’est petit, léger et ne prendra pas trop de place dans nos bagages. Tout heureux et sautillant, il se dirige vers la plage qu’on nous a indiquée.

Au sortir de la ville, je rencontre une femme, tout à sa peinture d’aquarelle. Je m’arrête, elle me parle de sa passion pour cette île qu’elle ne se lasse pas de peindre. Je lui achète un petit format, le dernier qu’elle a peint et vient d’encadrer.

Rentrée à la maison je vais chercher des renseignement sur Les  Saintes et découvre qu’elles inspirent de nombreux artistes dont Cathy Régnier, peintre en aquarelle qui réalise des portraits et paysages des Saintes. Mon aquarelle est signée Cathy Régnier…

Léo, toujours pressé de se baigner, gambade devant moi. Je suis surprise de ne rencontrer aucun véhicule, par contre quelques animaux domestiques en liberté, chèvres, poules, poussins, coqs, ânes, cochons et chiens

Avisant une hanse ombragée de palmiers, petit port utilisé par les habitants locaux, je décide de m’y arrêter. Un vrai bonheur: une plage de sable fin pour nous deux. Un bonheur inédit: nous avons pu nous baigner parmi les pélicans.

« Grand-maman ! C’est incroyable j’ai jamais vu autant de pélicans, ces oiseaux je ne les connaissais pas . T’as vu j’ai même pu les approcher de tout près ! « Ce que Léo n’a pas vu, c’est le jeune pêcheur à la ligne qui lançait les petits poissons pêchés aux oiseaux !Le soir, installée dans ma cabine, je me suis prise à rêver à des endroits sans véhicules en Suisse Romande où les animaux domestiques peuvent évoluer en toute liberté parmi les humains.

Peut-être existent-ils quelque part … mais de toute ma vie je n’en ai encore jamais vus sauf pour les chiens et chats …

Saint-Barthélémy ( Saint-Barth)

Île française des Antilles.

L’ économie de l’île est essentiellement axée sur le tourisme de luxe et la construction.

Elle nous a offert, en débarquant dans le port de Gustavia parmi des bateaux de plaisances tous plus grands et luxueux les uns que les autres, une entrées dans une rue bordée sur un seul côté par des magasins et commerces de luxes à des prix prohibitifs pratiqués en hautes saisons dans nos Rues Basses ou à Interlaken. Les touristes débarquant sur l’île viennent y faire leur shopping d’autant que c’est une zone franche. Les boutiques aux enseignes Vuitton, Cucci, Rolex, Tissot Swatch, et j’en passe, sont visitées une à une.  Les restaurants offrent une carte aux prix hors de portée de ma bourse.

On m’avait indiqué une plage pour la baignade , nous devions traverser toute la ville, arrivés à une bifurcation, plus d’indications: faut-il aller à droite ou à gauche ?

Je vois un vieil homme attablé à la table d’un bistrot contrastant avec le luxe de celui d’à côté.

Je m’approche et lui demande la direction de la plage. D’un geste, il m’indique derrière lui, puis voyant Léo qui s’est collé à moi, il me demande si c’est mon petit-fils , je confirme et me voilà à nouveau dans mon statut de  « Grand-Ma ».

Il m’explique que la plage toute proche n’est pas faite pour les enfants, trop exposée au vent et aux vagues. Il me conseille de rebrousser chemin,  de quitter le ville , de dépasser la zone portuaire d’échanges et de stockages, et de me rendre sur la plage publique.

Sous une chaleur de plomb, nous nous mettons en route . Se déplacer dans cette île s’avère périlleux: pas de trottoirs, chaussées étroites , pas de transport public, si ce n’est la possibilité de prendre un taxi ou de louer un quad . Tous se déplacent en voiture de luxe, décapotables pour les plus riches, ou alors des voitures flambant neuves de plus petite taille. Croiser est quasi impossible et ils circulent trop vite à mon goût de piétons qui doivent sans cesse être sur leur garde et se garer…

La plage promise est atteinte . À nouveau un vrai paradis où seul les habitants locaux se baignent. Peu de baigneurs, Léo se mêle aux quelques enfants qui profitent des bienfaits d’une baignade  en toute sécurité dans une eau claire, abritée du vent .

Une femme à l’accent méridional m’aborde, intéressée à savoir d’où je viens.

Elle est à la retraite, a rejoint son fils suite à des problèmes de santé récurrents. Le climat de l’île et les bains de mer lui ont fait le plus grand bien. Par contre, son fils installé à Saint-Barth depuis plus de 15 ans songe à vendre son bar et aller s’installer ailleurs dans les Antilles.

Depuis le passage de l’ouragan Irma les prix ont flambé, même dans l’arrière pays où ils sont locataires ils peinent à boucler les fin de mois . La différence entre les habitants de l’île s’est accentuée: il y a les très riches et les travailleurs qui ne peuvent se payer de logement et dorment à la belle étoile.

Elle attribue cette situation au passage de l’ouragan Saint-Irma qui a détruit les maisons les plus fragiles. Les habitants n’ont pu les reconstruire car les prix des matières premières ont augmenté de manière vertigineuse.

Elle confirme une impression que j’ai eue en observant les magasins et les prix pratiqués ainsi que la richesse ostentatoirement étalée par certains touristes et habitants.

J’étais déjà venue à Saint-Barth, il y a une dizaine d’années, c’était certes déjà l’île de la Jet Set , mais cela me paraissait plus discret et moins bling bling…

Depuis le décès de Johnny Hallyday, le 6 décembre 2017,

elle a constaté une augmentation significative de touristes sur l’île.

Elle repart en voiture, non sans avoir salué plusieurs personnes dans le parking…Et moi j’admire le bonheur et l’insouciance de Léo, tout à la joie de traquer poissons et coquillages avec son masque et son tuba…

Saint-Martin

Île importante possédant un aéroport flambant neuf, reconstruit depuis 2017, suite au passage du fameux ouragan Irma. On nous dit de prévoir au moins 4h pour accéder à la porte d’embarquement. Tout y est fait à la main depuis l’enregistrement des bagages par une hôtesse jusqu’à leur acheminement et leur mise en soute. Il faut apprendre la patience, savoir prendre son temps, s’énerver ne sert à rien, mais finalement tout sera fait en temps et en heure.

Un dernier regard à notre voilier et nous voilà à nouveau dans un car pour faire un tour de Saint-Martin qui nous déposera à l’aéroport.

Le marché traditionnel où l’on trouve des produits locaux et de l’artisanat  est le premier arrêt. Nous avons pu parler avec les marchandes, faire baisser les prix , donc nos derniers dollars sont dépensés.

 Léo, plus intéressé par sa quête d’animaux, a voulu aller sur la jetée. Un crabe, des poissons, des pélicans, des frégates , il prend ses dernières photos. Le ciel menace, une pluie tropicale s’abat sur nous, juste le temps de trouver un abri , nous sommes trempés …

Quelques haltes pour prendre les dernières photos et constater au passage le contraste entre le port de plaisance, celui bien plus important d’arrivée des bateaux de croisières et le cimetière de bateau qui jouxte. Certaines personnes n’ayant plus les moyens de payer une réparation pour mettre leur bateau en location , ils sont laissés à l’abandon, car les ouvriers ne veulent pas effectuer un travail qui ne leur sera pas payé.C’est le départ, nous voilà dans l’aéroport de Saint-Martin avec sa piste en bordure de mer…Que vais-je retenir de ce voyage , la grande diversité entre les îles , même si de loin elles paraissent toutes pareilles … le dépaysement escompté, la chaleur de ses habitants, ses paysages idylliques de mer turquoises, de sable fin et de température de l’eau si agréable … les problématiques propres à chacune d’entre elles …Je me projette vers Genève, ma ville natale, où tout n’est pas  aussi rose qu’on pourrait le croire. Loin de l’image de prospérité que les étrangers rencontrés nous renvoient. La pauvreté existe bel et bien chez nous, même si elle est moins visible. Actuellement, argent, profit et rentabilité y sont les maîtres mots nécessaires à la vie, voire la survie, dans cette ville suisse enclavée dans la France.Je me demande ce qu’un petit garçon de 10 ans aura pu retirer de ce voyage Je le revois faire ses adieux à tous ses amis, tout d’abord le personnel de cuisine, de cabine et l’équipage … Il est vrai qu’il a été très apprécié pour son bonheur affiché devant la nourriture, son enthousiasme, sa spontanéité et sa joie de vivre…

Seul l’Avenir me le dira …

   texte et photos Danielle Foglia-Winiger